Le principal événement depuis le début des hostilités a lieu le 14 octobre
1914 lorsque, à 6 heures du soir et sous la pluie, les premiers éléments
de régiment belge font leur entrée à Guînes. Ces soldats belges seront
pris pour des Allemands, ce qui n'a rien d'étonnant vu les annonces faites
précédemment par le maire de Guînes. Il s'agit d'éléments d'infanterie, de
cavalerie et de cyclistes venant d'Anvers et Ostende qui seront ainsi
logés chez l'habitant. On dénombre quelque 250 soldats belges.
Le lendemain, 15 octobre, quatre bataillons de cavalerie belge font leur
entrée à Guînes par la route de Calais et la rue du Temple (actuelle rue
Joffre). Les cavaliers belges portent des bonnets à poils et d'autres une
espèce de coiffe en astrakan. Ils chantent la Marseillaise et on jette des
fleurs sur leur passage. Ce sont les restes de régiments venus d'Anvers,
ils fuient l'invasion pour se reformer. Ces soldats ont l'air en bonne
santé et ne paraissent nullement déprimés.
Evidemment, cette arrivée de troupes a causé une grande effervescence dans
la ville.
Le lendemain, ce sont les troupes anglaises avec leurs fourgons de
munitions à traction automobile qui passent par Guînes ainsi que de
nouvelles troupes belges. A 3 heures de l'après-midi, prise d'armes par
les soldats belges sur la Grand'Place pour la nomination de trois
sous-lieutenants et de quelques sous-officiers. Au cours de cette
cérémonie, le commandant officier belge et le maire prononcent quelques
mots, après quoi les nouveaux promus prêtent serment de fidélité au roi et
obéissance.
GUINES vient ainsi d'entamer la période pendant laquelle elle sera ville
de garnison pour l'armée belge et les cérémonies officielles se
poursuivent le 19 octobre où une revue des troupes a lieu sur l'avenue
Auguste-Boulanger par un général de l'Armée belge.
Une semaine après leur arrivée, un important contingent de soldats belges
quitte la ville pour rejoindre le front. Désormais, ce va-et-vient de
troupes va se renouveler régulièrement.
Pendant ce temps, la ville reçoit des informations de soldats guînois
morts au champ d'honneur, blessés ou faits prisonniers. A Guînes, les
conseils de révision se suivent régulièrement ; la Classe 1915 est avancée
et il y a peu d'exceptions. Au fil des événements, on se rendra compte que
le phénomène va s'accentuer et que la situation des exceptés sera révisée.
Le 22 octobre, on publie un ordre du gouverneur de Calais pour
l'évacuation des réfugiés se trouvant à Guînes. Ils devront se rendre à
Calais d'où ils seront dirigés vers le midi par bateaux.
C'est l'occasion d'évoquer maintenant l'organisation du gouvernement
militaire mis en place pour le camp retranché de Calais et des communes
environnantes. Une organisation extraordinaire va se mettre en place à
CALAIS pour la logistique nécessaire à 1700 officiers et 40 000 hommes de
troupe, c'est le chiffre atteint en 1917. Des baraquements militaires
seront construits un peu partout à Calais ainsi que le cercle du soldat
belge sur la Grand Place face à l'Hôtel de Ville.
Le gouvernement militaire de
Calais sera placé sous les ordres du Général Bérard, un ancien combattant
de la guerre de 1870, il sera remplacé rapidement par le Général Ditte. Le
secteur géographique qui lui incombe forme un cercle qui démarre à
Oye-Plage passe par Saint-Folquin, Audruicq, Tournehem, Licques, Marquise,
Basinghen pour se terminer à Audresselles. Les travaux de défense seront
entrepris dans tout ce secteur.
Calais devient ensuite le
centre de réorganisation de l'armée belge après que les Allemands ont
envahi le pays. Dès le début du conflit Calais est convoitée par les
Allemands, c'est la course à la mer qui sera définitivement gagnée par les
alliés après des combats acharnés dans la région de Ypres. Les nouvelles
les plus farfelues les plus alarmistes arriveront en désordre mais Calais
et les environs ne seront jamais réellement menacés.
Dans notre cité, la vie religieuse doit elle aussi s'adapter avec la
présence de l'armée belge. C'est ainsi qu'au cours des offices célébrés
avec un aumônier militaire, le sermon est tantôt dit en français puis en
flamand.
Pour soutenir le moral des
troupes, rehausser les cérémonies officielles et organiser quelques
concerts locaux, les Belges ont amené sur Guînes la Musique des Guides. Le
régiment des guides est le régiment du roi et sa musique est en quelque
sorte l'équivalent de la Garde Républicaine.
Le 15 novembre 1914, elle a
participé aux cérémonies de la fête de Saint-Albert, patron du roi des
Belges. Grand-messe, défilé-parade, banquets en différents endroits de la
ville ont marqué cette journée. L'entrain endiablé qui a marqué les
banquets a parfois scandalisé certains habitants.
Les premières difficultés pour l'approvisionnement concernent le tabac.
Les débits de tabac sont pris d'assaut les mercredis et jeudis de chaque
semaine avec l'arrivée des sacs et il faut que les Belges assurent leur
propre approvisionnement pour subvenir à leurs besoins. Le froid est vif
par cet hiver 1914 et Brouttier ne manque pas de signaler que la vigie
installée sur le clocher de l'église a été supprimée après que le soldat
affecté à ce poste ait attrapé une congestion par le froid.
Avec l'arrivée de l'hiver, plusieurs chapitres du récit d'Eugène Brouttier
sont maintenant consacrés au prix des denrées qui renchérissent peu à peu,
puis, si les soldats belges en arrivent tout naturellement à consoler les
Guînoises de l'absence de la gente masculine et que les médecins belges
donnent gratuitement des soins aux malades guînois, surviennent en même
temps des incidents crapuleux où les soldats belges sont également mis en
accusation.
Le premier incident se
déroule au café de la Gare de Caffiers où un soldat est accusé de viol et
d'assassinat sur une femme veuve de la localité. On signale également,
toujours concernant les régiments belges, qu'un réfugié résidant à Pihen-les-Guînes,
s'est rebellé pour ne pas retourner au feu. Des coups de feu ont été tirés
entre les hommes de faction au pont de chemin de fer.
Du côté des Guînois, les
hommes de la classe 1915, presque tous classés dans l'infanterie, sont
partis pour le front et un quart des exemptés et réformés du canton a été
revu par les autorités militaires à Marquise et déclaré bon pour le
service. Si M. THIRAND, pharmacien, a été maintenu dans l'exemption, le
docteur Matringhem est parti à la guerre et Guînes sera désormais sans
médecin.
A
ce stade du récit, l'auteur des notes concernant la période de guerre
signale que les mœurs guînoises sont particulièrement déplorables.
Les Guînoises et les soldats belges se consolent comme ils peuvent des
infortunes de la guerre, mais Brouttier note également que les militaires
ont été suivis par de nombreuses femmes galantes qui s'installent dans des
chalets et maisons restées libres. Une situation qui ne fait qu'empirer
avec la presse de nombreux réfugiés. Quant aux cafés guînois, ils font des
affaires d'or.
Le 17 janvier 1915, se déroule sur la Grand'Place une revue des troupes
belges suivie par un concert donné au Salon des Trois-Fontaines au profit
de la Croix Rouge. Ce concert est donné par la Musique des Guides de
l'Armée belge dont il faut saluer les nombreuses prestations de qualité
qui se répéteront régulièrement pendant trois ans.
Parmi les officiers de lanciers présents à Guînes en ce début d'année
1915, se trouvent quelques célébrités du royaume de Belgique. C'est ainsi
que le Prince Henri de Croy, capitaine commandant et descendant de
l'illustre famille dont un membre fut gouverneur de Calais, loge chez M.
FLAMENT, notaire. Le fils de M. BROQUEVILLE, ministre de la guerre, loge
chez M. MICHAUX-DERNIS.
Les nouvelles du front parviennent un peu mieux dans la région. A Guînes,
on peut lire le Petit Calaisien, le Nord maritime, le Télégramme, la Croix
du Pas-de-Calais et la France du Nord.
La liste des enfants de Guînes morts au champ d'honneur ne fait que
s'allonger ; Le 3 février 1915, on annonce la mort de quatre Guînois tués
à la guerre. A partir de cette période, les TAUBE et dirigeables allemands
ont commencé à bombarder le Calaisis à plusieurs reprises. Les Guînois
sont informés de ces bombardements qui, le 22 février 1915, ont fait cinq
morts dans le quartier des Fontinettes. A nouveau des victimes en mars,
tandis qu'à Guînes, on a vécu une nuit d'angoisse en entendant le bruit
des moteurs et les détonations des bombes lancées sur Calais. A la date du
20 mars 1915, à 8h l/2 du matin, départ de 140 soldats belges. Je cite
Brouttier : « Le commandant Michaux a prononcé quelques mots avant de
donner l'ordre du départ. Il y avait beaucoup de monde, surtout des dames
chagrinées ».
L'occasion nous est donnée ici, d'évoquer le souvenir du major Michaux,
qui fut le commandant d'armée belge de Guînes.
Le major Michaux était l'une des figures parmi les plus populaires de
l'armée belge. Cette notoriété était due essentiellement au rôle qu'il
avait joué en Afrique (au Congo) contre les esclavagistes et dans la
campagne belge de 1892 contre les Arabes.
En 1913, il est rentré au
pays mais sa forte corpulence est désormais un obstacle pour qu'il se
trouve désormais à la tête de soldats d'activé. Lorsque la guerre éclate,
le major Michaux est à la tête d'un dépôt..
Avec le retrait de l'armée belge, il s'est retrouvé à Guînes, à la tête de
l'administration militaire.
Le major Michaux est mort de sa « belle mort » en janvier 1918. Je pense
qu'il est décédé à Guînes, qu'il y a été enterré provisoirement, c'est à
dire qu'après l'Armistice, son corps a été ramené en Belgique.
A
cette même époque meurt la doyenne de Guînes, Madame veuve DESOMBRE de
NEUFMARCHAIS, à l'âge de 96 ans.
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